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D'UNE PETITE RAFLE PROVENCALE

Nelcya Delanoë

Publié le 3 décembre 2013 Mis à jour le 22 janvier 2014

Nelcya Delanoë - Préface de Laurent Joly - SEUIL

 
Ce livre est né de la lecture inopinée d'un poème de Louis Aragon, Le Médecin de Villeneuve, écrit en août 1942 alors que l'écrivain s'était installé pour quelque temps à Villeneuve-lès-Avignon, où vivait son ami Pierre Seghers ainsi que de nombreux artistes réfugiés là.

Ce poème décrit une rafle de Juifs étrangers à Villeneuve, le 31 août 1942 selon l'auteur qui, dans une préface à ce poème, défend la "vérité historique en poésie". J'ai donc cherché à savoir ce qu'il en avait été de cette rafle à Villeneuve-lès-Avignon, où je vis une partie du temps et où je n'avais jamais entendu parler de cet épisode.

Ma recherche m'a conduite à avoir des entretiens avec des habitants de Villeneuve et au-delà, directement ou indirectement liés à cette période. Sans grand succès. Les témoins directs ou indirects sont peu nombreux, et encore moins nombreux ceux qui acceptent de parler. Quoi qu'il en soit, personne n'avait entendu parler de cette rafle.

Grâce aux archives municipales, départementales, nationales et de la gendarmerie, j'ai fini par reconstituer la rafle décrite par Aragon (qui s'est trompé sur la date, elle a eu lieu le 26 août), j'ai établi les noms et adresses des neuf Juifs étrangers arrêtés, recensés et non recensés, (sur 65 Juifs français et étrangers déclarés résidant à Villeneuve). J'ai également pu suivre en partie leur trajet, avec disparitions énigmatiques, évasions, retours, et déportations -où quand quel convoi …
Il s'agissait d'une des multiples dizaines de rafles opérées cette nuit-là dans la zone sud sur décision de Vichy –et dont on parle si peu de nos jours.
J'ai par ailleurs tenté d'en apprendre plus long sur ceux qui n'avaient pas été arrêtés et qui ont continué de vivre à Villeneuve plus ou moins longtemps après cette rafle.
J'ai ainsi découvert qu'une autre rafle (neuf Juifs français, recensés et non recensés) a eu lieu à Villeneuve presque un an plus tard, le 17 juillet 1943. Celle-ci a été le fait d'organisations locales, floues et autonomes, voyous et truands compris, en étroites relations avec la police allemande et les appareils maréchalistes –rackets, pillages, marché noir et persécution des Juifs, en fait, une véritable économie parallèle de la persécution Et cette rafle-là, nul n'en a jamais entendu parler.

D'une petite rafle provençale conte l'enquête se faisant, et ses croisements avec l'histoire de l'auteur –pas en avant pas en arrière, découvertes et rebondissements. Jusqu'aux "VOISINS VIGILANTS" de Villeneuve-lès-Avignon et de son extrême Droite populaire en ce début de XXIe siècle.
Par là même, cette enquête décrit un village du Gard en "zone non occupée" pendant la Seconde guerre mondiale. Zone spatio-temporelle aux rapports de forces et de faiblesses enchevêtrés, où se sont tramés ambiguïtés et paradoxes, toujours peu explorés en raison même de leur nature.
Il s'agit en effet d'un monde où collaboration avec et résistance à Vichy étaient souvent contournées, détournées, maquillées, au point qu'elles demeurent difficiles à documenter et à établir. Le sort des Juifs étrangers et français qui s'en est suivi est ainsi quasi oublié, gommé, et surtout ignoré.
Or cette micro histoire, d'une richesse et d'une complexité étonnantes, permet de mieux comprendre ce qu'il en fut de la persécution des Juifs de la zone sud hors des grandes villes et reliée à la macro histoire. Elle permet aussi de mesurer la prégnance de ce blanc de l'histoire, que j'ai ainsi tenté de faire apparaître, noir sur blanc...
 

Mis à jour le 22 janvier 2014